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Le Prophète (paix et salut à lui) ne se contentait pas de manifester douceur, affection et bienveillance à l’autre:
Le Prophète (paix et salut à lui) ne se contentait pas de manifester douceur, affection et bienveillance à l’autre : il allait jusqu’à faire l’éloge de ses adversaires, même de ceux qui le combattaient ouvertement !
Le voici par exemple faisant l’éloge de Suhayl ibn `Amr[1] qui faisait alors partie des chefs des polythéistes, lorsque ce dernier vint négocier avec lui le traité d’al-Hudaybiyya. Le Prophète (paix et salut à lui) dit aux musulmans : « Votre affaire est facilitée »,[2] soulignant qu’il connaissait Suhayl ibn `Amr pour sa complaisance et son bon caractère.
Ecoutons encore le Prophète (paix et salut à lui) parler de Khâlid ibn al-Walîd avant sa conversion à l’islam, en l’an sept de l’hégire, c’est-à-dire après un certain nombre d’affrontements armés où Khâlid ibn al-Walîd dirigeait les troupes polythéistes, dont en particulier la bataille d’Uhud, la campagne des Coalisés et l’épisode d’al-Hudaybiyya.
Le Prophète (paix et salut à lui) demanda à al-Walîd ibn al-Walîd, le frère de Khâlid qui était alors musulman : « Où est Khâlid ? » (c’est-à-dire, pourquoi n’a-t-il pas rallié l’islam). Al-Walîd répondit : « Allah l’amènera. » Le Prophète (paix et salut à lui) poursuivit : « Un homme tel que lui ne peut rester ignorant de l’islam. S’il déployait son intelligence et ses efforts au service des musulmans contre les polythéistes, cela lui serait bénéfique, et nous lui accorderions assurément la préséance sur d’autres. »[3]
Les souvenirs douloureux associés à Khâlid ibn al-Walîd, et en particulier le désastre d’Uhud, n’empêchaient pas le Prophète (paix et salut à lui) de louer son intelligence et de s’étonner qu’un homme d’une telle sagacité n’ait pas compris la valeur de l’islam, puis de faire l’éloge de sa tactique militaire et de ses grandes qualités guerrières. Il alla jusqu’à annoncer que si Khâlid rejoignait les musulmans, il lui accorderait la préséance sur d’autres plus anciens dans l’islam : c’est qu’il était pleinement convaincu des capacités supérieures de cet homme sur le champ de bataille.
Il n’est pas facile pour un chef de faire l’éloge d’un ennemi : cela nécessite un haut niveau de moralité, de sagesse et de probité.
De même, le Prophète (paix et salut à lui) a fait l’éloge de la poésie de Labîd ibn Rabî`a[4] qui était alors polythéiste, disant : « La parole la plus vraie qu’un poète ait dite est cette parole de Labîd : toute chose hormis Allah n’est que vanité. »[5]
Même s’il ne récitait pas de poésie et n’en écoutait pas beaucoup, le Prophète (paix et salut à lui) n’a donc pas hésité à faire l’éloge d’un poète polythéiste lorsqu’il a excellé dans ses propos. Il y avait pourtant de nombreux excellents poètes musulmans, comme Hassân ibn Thâbit ibn Mâlik, `Abdallâh ibn Rawâha ou d’autres, qu'Allah les agrée tous.
On voit encore le Prophète (paix et salut à lui) louer la haute moralité d’une tribu polythéiste qui refusa d’embrasser l’islam et n’accepta pas de le soutenir. Pourquoi ? Parce qu’il avait vu objectivement que ces gens possédaient de hautes qualités morales dans certains domaines, et il en fit l’éloge malgré leur manque de certaines autres valeurs. Il s’agit des Banû Shaybân qui vivaient au nord-est de la péninsule arabique sur les confins de l’Irak et qui étaient alors les alliés du puissant empire perse. Le Prophète (paix et salut à lui) leur proposa l’islam : ce qu’il leur présenta leur plut beaucoup et ils lui répondirent avec la plus grande courtoisie, tout en refusant catégoriquement de devenir musulmans par peur de l’empereur de Perse. Malgré tous les éléments négatifs que comportait leur attitude, des éléments susceptibles de les discréditer comme le manque de sagesse et de perspicacité, l’incapacité de saisir la valeur de l’islam, la lâcheté et la peur face à l’empereur de Perse, l’absence de ralliement autour de l’opprimé, l’hésitation et le manque de résolution et de détermination… autant de traits négatifs que le Prophète (paix et salut à lui) aurait pu souligner ; celui-ci passa volontairement sous silence ces traits négatifs pour faire l’éloge des qualités qu’il avait remarquées :
Il dit : « La sincérité et la clarté de votre réponse vous honorent. Mais ceux qui se rallient à la religion d'Allah l’acceptent dans son intégralité. Que diriez-vous si, dans peu de temps, Allah vous donnait en héritage les terres et les biens de ces gens et vous offrait leurs femmes : ne célébreriez-vous pas alors la gloire d'Allah ?
– Par Allah, nous t'accorderons cela, dit An-Nu`mân ibn Sharîk. »
Le Prophète (paix et salut à lui) récita alors : « Ô Prophète, Nous t’avons envoyé comme témoin, annonciateur et avertisseur, appelant à Allah avec Sa permission et comme flambeau répandant la lumière. »[6] Puis le Prophète (paix et salut à lui) se leva, prit les mains d’Abû Bakr (qu'Allah l’agrée) et dit : « Abû Bakr, quelle noble qualité que celle-ci chez les païens, par laquelle Allah contient la violence des uns et des autres, et par laquelle ils se réconcilient. »[7]
Le Prophète (paix et salut à lui) n’a pas commenté les traits négatifs, et n’a pas dit aux Banû Shaybân qu’ils manquaient d’honneur et de bravoure. Il s’est contenté de montrer son respect pour leurs qualités positives, et en premier lieula sincérité. Ilaurait en effet été extrêmement grave que ces gens acceptent l’islam pour le renier ensuite : ils avaient donc très bien fait d’exprimer leur crainte et leur embarras dès le début.
En outre, ils avaient exprimé leur refus de se convertir avec la plus grande courtoisie, ce que le Prophète (paix et salut à lui) apprécia. Ils avaient fait preuve de modestie, annonçant sans orgueil qu’ils changeraient d’avis et embrasseraient l’islam si les musulmans avaient le dessus sur l’empire perse et les autres forces en présence.
Cette attitude du Prophète (paix et salut à lui) doit être une des références sur lesquelles les musulmans modèlent leur propre attitude lorsqu’ils dialoguent avec les membres d’autres communautés. L’on voit qu’il n’hésite pas à évoquer les traits positifs et les vertus de l’autre, sans mensonge ni hypocrisie : il mentionne les faits tels qu’il les voit, et ce faisant non seulement il dit la vérité, mais il amadoue les cœurs des adversaires et des opposants, atténuant ainsi leur hostilité envers les musulmans.
Nous trouvons un autre exemple particulièrement significatif du respect du Prophète (paix et salut à lui) pour les non-musulmans, dans ses éloges répétés du Négus, le souverain d’Abyssinie. Il n’hésita pas à dire ouvertement : « Il s’y trouve un roi chez qui personne n’est opprimé, et c’est une terre de justice. »[8]
Le Prophète (paix et salut à lui) fait ici l’éloge du souverain chrétien en mentionnant des qualités qui existent réellement chez lui. Tout être humain possède assurément des qualités louables, mais il n’est pas à la portée de tout le monde de savoir souligner les qualités de l’autre. Au contraire, certains musulmans qui ne comprennent pas bien s’imaginent qu’il faut s’abstenir de faire l’éloge des non-musulmans de peur que cette attitude ne constitue une forme d’alliance ou de rapprochement répréhensible. Ils s’inspirent le plus souvent des réactions du Prophète (paix et salut à lui) en temps de guerre ouverte, pour déterminer leurs réactions en temps de paix avec des personnes non hostiles.
Ce que nous évoquons ici constitue un aspect particulièrement important de la vie du Prophète (paix et salut à lui), un aspect que les musulmans devraient connaître mieux que quiconque : il s’agit en effet de notre religion que nous sommes fiers de pratiquer, et de notre prophète que nous suivons avec révérence.
Il est clair que le christianisme pratiqué en Abyssinie à l’époque était déjà comme ailleurs un christianisme dénaturé, ainsi que l’indique la réaction du patriarche aux propos de Ja`far ibn Abî Tâlib[9] (qu'Allah l’agrée) sur le Messie (la paix soit sur lui). Cependant, l’éloignement de ces chrétiens du christianisme originel n’empêchait nullement le Prophète (paix et salut à lui) d’évoquer leurs qualités et de louer leurs vertus.
Le Prophète (paix et salut à lui) alla plus loin encore en conférant au Négus chrétien l’honneur d’être le tuteur matrimonial d’Umm Habîba fille d’Abû Sufyân (qu'Allah l’agrée) lorsqu’il la prit pour épouse.[10] Umm Habîba faisait partie des musulmans qui avaient émigré en Abyssinie. Là, son époux `Ubaydallâh ibn Jahsh[11] était devenu chrétien.[12] Elle l’avait ensuite quitté puis le Prophète (paix et salut à lui) l’avait épousée ; il lui avait désigné le Négus comme tuteur matrimonial, alors qu’il aurait pu conférer cet honneur à Ja`far ibn Abî Tâlib d’autant que celui-ci était le chef de la délégation musulmane et le cousin du Prophète (paix et salut à lui), ou bien encore à l’un des nombreux émigrés appartenant au clan des Banû Umayya. Mais le Prophète (paix et salut à lui) avait voulu ainsi honorer le Négus et lui marquer son estime.
[1] Suhayl ibn `Amr ibn Lu’ay ibn Ghâlib était un des notables et chefs de tribu de Quraysh à l’époque préislamique. Il fut fait prisonnier lors de la bataille de Badr alors qu’il était mécréant. C’était l’orateur des Quraysh, et `Umar dit : « Messager de Dieu, arrache-lui les incisives pour qu’il ne puisse plus jamais discourir contre toi. » Le Prophète (paix et salut à lui) répondit : « Laisse-le, il prononcera peut-être un jour un discours que tu loueras. » En effet, ce discours louable eut lieu lorsque, après la mort du Prophète (paix et salut à lui), les Mecquois s’agitèrent et certains Arabes renièrent l’islam. Suhayl ibn `Amr, qui était à l’époque devenu musulman, se leva alors pour s’adresser aux gens en ces termes : « Par Dieu, je sais que cette religion se répandra comme s’étend le soleil du levant jusqu’au couchant. » Il prononça un discours en des termes semblables à eux utilisés par Abû Bakr as-Siddîq quand il s’adressa aux musulmans à Médine : tel était le sens des paroles du Prophète (paix et salut à lui) à `Umar. Voir Ibn Hajr, al-Isâba, titre 3569, et Ibn al-Athîr, Asad al-ghâba, 2/346.
[2] Al-Bukhârî, Livre des stipulations, chapitre ; « Les stipulations lors du jihâd et des traités avec l’ennemi » (2581).
[3] Adh-Dhahabî, Târîkh al-islâm, 1/293.
[4] Labîd ibn Rabî`a al-`Amirî était un poète. Il rejoignit le Prophète (paix et salut à lui) et devint un bon musulman. C’était un notable tant à l’époque préislamique que sous l’islam. Il avait fait vœu de sacrifier une bête et d’offrir un repas chaque fois que soufflait le vent d’est. Voir Ibn `Abd al-Barr, al-Istî`âb, 3/392, et Ibn Hajr, al-Isâba, titre 7540.
[5] Al-Bukhârî, Livre de l’éducation, chapitre : « Ce qui est permis en matière de poésie » (5795) ; Muslim, Livre de la poésie (2256).
[6] Sourate 33, al-Ahzâb, versets 45-46.
[7] Al-Bayhaqî, ad-Dalâ’il, 2/422-427 ; Abû Nu`aym, ad-Dalâ’il, 1/237-242. Voir Ibn Kathîr, al-Bidâya wan-nihâya, 3/164-165.
[8] Hadîth rapporté par Ahmad (18304) et dans la Sîra d’Ibn Hishâm (164/2) et authentifié par al-Albânî dans as-Silsila as-sahîha.
[9] Ja`fa ibn Abî Tâlib ibn `Abd al-Muttalib était l’homme qui ressemblait le plus au Prophète (paix et salut à lui) tant physiquement que moralement. C’était le frère de `Alî (que Dieu l’agrée). Il émigra en Abyssinie, puis rejoignit le Prophète (paix et salut à lui) lors de la conquête de Khaybar. Le Prophète l’embrassa alors en disant : « Je ne sais ce qui me réjouit le plus, l’arrivée de Ja`far ou la prise de Khaybar. » Il fut l’un des trois commandants de l’expédition de Mu’ta où il tomba martyr. Voir Ibn Hajr, al-Isâba, titre 1168.
[10] Ibn Kathîr, al-Bidâya wan-nihâya, 4/161.
[11] `Ubaydallâh ibn Jahsh était devenu musulman à La Mecque et avait émigré en Abyssinie avec son épouse Umm Habiba Ramla bint Abî Sufyân. Cependant il était devenu chrétien en Abyssinie et était mort chrétien. Le Prophète (paix et salut à lui) se maria alors avec son épouse Umm Habîba Ramla bint Abî Sufyân. Voir Ibn Sa`d, at-Tabaqât al-kubrâ 8/96.
[12] Ahmad (27448), al-Hâkim (6770).
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